Sous le protectorat

Date de publication : 18 octobre 2009

L’enseignement organisé par les Français au Maroc demeure assez élitiste et ne recrute souvent que des enfants issus des classes dirigeantes, dont les parents sont associés à l’action du Protectorat : c’est le cas des “Ecoles de fils de notables”, qui devaient en principe délivrer un apprentissage fondé sur les deux langues, arabe et français, mais où l’arabe n’apparaîtra en fin de compte qu’à la fin de la deuxième guerre mondiale. Ces écoles, qui ne comptent que 1.468 élèves en 1913, en accueillent 21.400 à la veille de la seconde guerre mondiale, pour atteindre 314.800 en 1955.

Puis les élèves accédaient au second cycle dans les collèges dits “musulmans” créés par les Français, où ils bénéficiaient de conditions pédagogiques de premier choix, qui permettaient aux meilleurs d’obtenir le “baccalauréat marocain”. Les effectifs de ces établissements demeureront beaucoup plus limités, puisqu’ils comptent 608 élèves en 1938, 6.712 en 1955.

Par ailleurs, les lycées français, qui accueillaient exclusivement des élèves européens, ouvrent leurs portes, à partir de 1944, à des élèves marocains (12% des effectifs en 1951).

Furent créées également, mais avec beaucoup moins de moyens, des écoles urbaines pour les enfants des classes moyennes et des écoles rurales franco-musulmanes, dans lesquelles était délivrée une formation professionnelle. Là encore, les effectifs restèrent limités (1 .300 élèves en 1938,7.500 en 1955).

Mais la diversité ne s’arrête pas là : des écoles franco-israélites viennent compléter le réseau déjà existant de l’Alliance Israélite Universelle, des écoles franco-berbères sont créées dans l’Atlas ou dans les plaines du sud du pays : “respecter la diversité de la population” disent les uns, “diviser pour mieux régner”, rétorquent les autres.

Parallèlement, subsiste un système traditionnel marocain d’enseignement coranique ; apparaissent même des écoles privées musulmanes, symbole de la naissance du mouvement nationaliste dans les années 30.

LE SYSTÈME ÉDUCATIF FRANÇAIS SOUS LE PROTECTORAT

Dans la médina ( 1907) : Les origines de ce système se trouvent dans l’ancienne médina où, à la fin du siècle dernier, quelques écoles (par exemple l’école catholique de la Mission Espagnole et celle de l’Alliance Israélite) dispensaient déjà un enseignement en français.

C’est en 1907, rue de la Croix-Rouge, au cœur de cette médina, qu’une institutrice, Madame Peterman, inaugure la première école française. Cette ouverture sera suivie en 1909 par celle de l’Ecole Française de Garçons située rue de Tanger, toujours dans le quartier de la médina et proche de la mer. Cette école qui accueille la première année 14 élèves est confiée à un détaché du cadre de l’Algérie, Monsieur Blache ; elle est considérée comme la première école officielle française de Casablanca puisque sa création a été décidée par le Ministère des Affaires Etrangères. D’autres suivront et connaîtront très vite un grand succès. Réunies en 1911, elles accueillent, déjà à cette date, 231 élèves.

On sait que, dès son arrivée en avril 1912 comme premier Commissaire Résident Général de la France au Maroc, le Général Lyautey a voulu faire de Casablanca une grande cité moderne. Parmi les grands travaux d’urbanisme envisagés et qui seront réalisés dans les années suivantes, la construction d’un établissement scolaire spacieux est prévue sur la colline de Mers-Sultan.

Le Lycée en planches (1913) : En attendant, pour faire face à l’augmentation rapide des effectifs, le Général Lyautey décide en 1913 le transfert des 446 élèves de l’Ecole Officielle Française dans les baraquements de bois du Camp Vilgrain situés avenue du Général d’Amade, à l’emplacement actuel de la Banque d’Etat du Maroc, juste en face de l’Hôtel des Postes. L’établissement s’appellera désormais, officiellement, “Lycée de Casablanca” mais il restera dans les mémoires sous le nom de “Lycée en planches”.

En janvier 1914, Monsieur de Aldecoa devient le premier proviseur de ce lycée, dans un contexte défavorable : la première guerre mondiale vient d’éclater, tous les professeurs sont mobilisés et le Lycée de Casablanca, à peine ouvert, aurait sans doute fermé ses portes sans l’affectation, par Lyautey, au service de l’enseignement, des diplômés de ses régiments territoriaux venus du Midi de la France, et sans l’aide de professeurs retraités.

Petit Lycée(1929) et grand Lycée (1921) : Le Grand Lycée, magnifique établissement composé de 10 pavillons, doté d’un internat et d’un stade, que Lyautey a fait construire avenue Mers-Sultan, près du parc Murdoch reçoit en 1921 sa première promotion : 153 élèves des classes secondaires.

Les baraques Vilgrain, dénommées désormais “Petit Lycée”, continueront d’accueillir les classes primaires jusqu’en 1929.A cette date, le Petit Lycée sera transféré dans de nouveaux et splendides locaux rue d’Alger. Il regroupera le jardin d’enfants, les classes primaires puis, en 1933, un collège.

Ces deux établissements sont placés sous l’autorité d’une direction unique. Pendant plus de vingt ans (1919-1940 et 1943-1945), le Proviseur Roby en aura la charge, sachant tout à la fois donner à son lycée une âme et une image d’excellence.

Au départ du Maréchal Lyautey pour la France en 1925, le Lycée de Casablanca prendra le nom de “Lycée Lyautey”, nom qu’il porte toujours aujourd’hui. Nos deux établissements verront leurs effectifs croître régulièrement passant, entre 1919 et 1932, de 248 à 700 élèves au Petit Lycée et de 198 à 600 élèves au Grand Lycée.

En 1933, est créée la première classe préparatoire aux grandes écoles. Il s’agit d’une classe de Mathématiques Supérieures qui sera suivie, en 1934, d’une classe de Mathématiques Spéciales : cette dernière ouvrira avec seulement 6 élèves.

De la seconde guerre mondiale à l’indépendance : Mais la Seconde Guerre Mondiale va interrompre cet harmonieux développement, la mobilisation de nombreux enseignants nécessitant, à nouveau, le recours à des professeurs retraités. Le tribut versé par nos anciens fut lourd : 95 élèves et 8 professeurs firent en effet don de leur vie entre 1939 et 1945. Leurs noms sont gravés dans le marbre du monument aux morts situé à l’entrée du lycée actuel et que domine le médaillon en bronze à l’effigie de Pierre Simonet, professeur agrégé de lettres, mort à Dachau. Après cinq années de guerre, le lycée se trouvait dans une situation critique : un corps enseignant dispersé, des élèves orphelins ou anciens combattants, des compressions de locaux dues à l’accueil de services hospitaliers, des classes surchargées (50 élèves).

Le nouveau proviseur, Monsieur Caillaud (1945-1954) redressa la barre. Sous sa direction, de nombreux travaux furent exécutés, le lycée prenant son aspect définitif.

Les classes préparatoires connurent un développement spectaculaire : en 1953, le Lycée Lyautey comptait, en effet, six sections post-bac et les résultats obtenus aux différents concours plaçaient par ailleurs celles-ci au niveau des bons établissements de la Métropole. De nouveau, les effectifs élèves croissent. Ils atteindront 2.600 en 1955, nécessitant une augmentation sensible du corps professoral qui passera de 100 enseignants en 1945 à 200 en 1955.

Le proviseur du lycée est alors Monsieur Pouget (1954-1957). Il deviendra, après l’Indépendance, Conseiller Culturel à Rabat et Directeur de ce qu’on appelait déjà la Mission Universitaire Culturelle Française.

Son successeur, Monsieur Wattiez (1957-1966) aura la lourde charge d’effectuer le déménagement d’un lycée de 2.800 élèves avec internat et classes “prépa”, dans de nouveaux locaux puisque, conformément aux accords passés avec les autorités du Maroc, les bâtiments devaient être rétrocédés au gouvernement marocain. C’est ainsi que le Petit Lycée de la rue d’Alger deviendra le Lycée Ibn Toumert, le Grand Lycée, le Lycée Mohammed V et le Lycée de jeunes Filles du boulevard Zerktouni, le Lycée Chawki.

Le Lycée actuel(1959) : Dès juillet 1959, débutent les travaux de construction du nouveau lycée qui sera situé boulevard Ziraoui, dans le quartier Bourgogne, sur un vaste domaine de plus de cinq hectares, à l’emplacement de l’ancien camp militaire Turpin. Le nouveau Lycée Lyautey est inauguré en novembre 1963.

En 1965, le lycée s’agrandit en annexant le domaine voisin de l’ancien camp militaire Beaulieu doté de magnifiques installations sportives avec stade et piste d’athlétisme. Un hangar utilisé auparavant en atelier de réparation de chars est aménagé en collège technique.

Arrivé en 1939, Monsieur Bellier, professeur de Mathématiques en classe préparatoire, prend en 1966, la direction de l’établissement. Il recevra en 1970, Monsieur Maurice Schumann, Ministre des Affaires Etrangères, qui, après la visite de notre établissement, écrira sur le livre d’or du lycée français “Hommage aux enseignants et au proviseur du plus grand lycée d’un empire spirituel : l’empire de la francophonie”.

C’est l’époque des premiers délégués-élèves aux conseils de classe, de la création de la coopérative scolaire, de l’ouverture du foyer Claire Granier et des dernières distributions de prix.. Un accroissement des demandes des familles entraîne la multiplication des Lycées Lyautey à Casablanca. Aussi, devient-il utile de les numéroter : notre établissement, boulevard Ziraoui devient Lyautey I , mais on parle aussi de Lyautey II pour dénommer le collège Alain Fournier, place de Reims, de Lyautey III pour désigner le collège Anatole France, et de Lyautey IV à Aïn-Sebaâ qui accueillera l’Ecole Française des Affaires en 1988.

Ancien professeur agrégé d’arabe, Monsieur Chanut est nommé à la tête de l’établissement en 1981 et devra faire face à une situation difficile avec les fermetures, d’abord en 1986 des classes préparatoires qui sont transférées au Lycée Mohammed V, puis en 1987 des sections techniques préparant aux baccalauréats industriels et technologiques.

Le Lycée Lyautey affiche, dès lors, le visage que nous lui connaissons aujourd’hui mais il n’a cessé d’être amélioré afin de répondre aux exigences de cette fin de siècle (création d’un centre d’information et d’orientation en 1987, aménagement de salles vidéo et informatiques).

Comme on peut ainsi le constater, notre présent a de profondes racines et les actions que nous conduisons aujourd’hui s’inscrivent dans le prolongement de celles dirigées hier par nos prédécesseurs car un même esprit nous anime : l’amour de la France et un attachement affectueux et respectueux au Maroc, au service de la formation et de l’éducation des jeunes qui nous sont confiés. Nous sommes fiers, à juste titre, de notre réputation d’excellence. Mais n’oublions pas que cette image a été forgée par des générations successives qui ont su faire reconnaître notre lycée comme étant l’équivalent des meilleurs en France. Cette tradition de qualité est une grande chance, c’est aussi une exigence dont il faut savoir être digne.

P.J Bravo – Proviseur au Lycée Lyautey de 1989 à 1995